Les chants de marins - Petit tour d'horizon

Chants à ramer, à hisser, à virer... Saviez-vous que les chants de marins étaient avant tout des chants de travail ? Que le rythme des paroles accompagnait les manœuvres variées des matelots ? Pour en savoir en peu plus, suivez le guide !
Un article de Gauthier Brioude.
Je vous emmène à la découverte d’un univers, d’une tradition, d’une pratique, pour vous familiariser avec le chant populaire. Aujourd’hui nous allons parler de chants de marins, un répertoire riche et qui invite au voyage.
Est-ce que le titre Wellerman vous parle ? Un chant de marin du XIXème siècle, repris sur TikTok par un postier écossais fin 2020 et qui a fait le tour du monde et des centaines de millions de vues et d’écoutes ? Eh bien Wellerman, c’est un shanty, c'est-à-dire en français un chant de travail. Chants à hisser, à ramer, à virer, les chants de travails sont nombreux dans la marine. Eh oui, la marine à voile et à rame n’est pas de tout repos et le marin a fort à faire. Pour se donner du courage, pour que les efforts soient coordonnés et efficaces, le chant est incontournable à bord. C’est même si important que les capitaines enrôlent souvent un meneur de chant dans l’équipage. Nous embarquons pour un rapide tour d’horizon de ces chants.
Suivons cette goëlette, La Fringante, qui va bientôt partir du port de Paimpol pour aller pêcher la morue. Pour quitter le port, il faut hâler, c'est-à-dire tirer sur des cordes pour tirer le navire hors du quai. La même manœuvre aura lieu au retour du bateau. En effet les bateaux ne pouvaient arriver toutes voiles dehors dans les ports. Les hâleurs ne sont pas les marins du bateau, puisque ceux-ci sont à bord, mais des retraités, des gamins, des femmes. Déjà, on chante.
Ployant sous l’effort, le chanteur ponctue son chant d’onomatopées. Mais ça y est, le bateau est à flots, on peut commencer à hisser la voile. La coordination est primordiale car la voile est lourde. Le poids varie évidemment selon la taille de la voile, mais il excède de loin ce qu’un homme peut porter. Un soliste entonne donc un chant, et les marins tirent lors du refrain, notamment sur certaines syllabes. Parmi ces chants à hisser, on retrouve notamment Jean-François de Nantes, un chant qu’on date du début du XIXème siècle. Les syllabes accentuées sur le refrain sont : Oué, oué, oué, Fringante, Jean-François : Ce qui donne : C’est Jean-François de Nantes, Oué, oué, oué,Gabier sur la Fringante, Oh mes boués, Jean-François.
La voile est hissée, le bateau va bon vent ! Si de l’eau s’est infiltré à cause de problèmes d’étanchéité ou à cause des vagues, il faut pomper. Nous avons encore trace de quelques chants à pomper, comme Leave her Johnny (Quitte le navire Johnny). Mais le vent tombe, la voile ne sert plus à rien. Le seul moyen d’avancer était l’aviron. Eh oui, il fallait ramer ! Plus encore que pour hisser la voile, l’effort est long et surtout doit rester cadencé. Le chant est à nouveau un accompagnement parfait pour aider les rameurs, par son rythme, ses répétitions, comme par exemple "Hourrah les filles à dix deniers"
Enfin quand la destination est atteinte, on peut jeter l’ancre, cette lourde pièce de métal qui stabilise le bateau. Quand il faut la remonter, c’est une autre paire de manches, la gravité joue contre les marins ! Plusieurs hommes (parfois plus de douze) sont nécessaires pour tourner le treuil et remonter petit à petit l’ancre. L’info à retenir de ce podcast est celle-ci : c’est le rythme du travail qui crée le rythme des chants. Il y a donc une différence notable entre les chants à virer au cabestan et les chants à virer au guindeau. Parce que le cabestan est un treuil à axe vertical, le guindeau un treuil à axe horizontal, ils ne s’actionnent donc pas sur le même rythme. Pour virer au cabestan, on peut chanter « Le Corsaire le Grand Coureur » ou encore « Les Trois Marins de Groix ». Mais sur la Fringante, on vire au guindeau, et on chante le célèbre « Hardi les Gars vire au guindeau ».
Même si le métier de marin était rude, il y avait bien sûr des temps plus calmes, sans manœuvre à réaliser. Eh bien les marins se rejoignaient alors au gaillard d’avant (donc à l’avant du bateau) et entonnaient un chant de gaillard d’avant, plutôt joyeux, ou une complainte plus triste. Parmi les chants de gaillard d’avant on peut citer « Et l’premier c’est un marin » et « Pique la baleine », et écoutons Off to sea once more, complainte du marin forcé de repartir sur mer pour gagner son pain, qui daterait du XVIIIème siècle.
Enfin c’est le retour de La fringante au port Paimpol ! Les marins reviennent les poches pleines, et, sur le port comme dans les tavernes, racontent des histoires merveilleuses à des enfants ébahis, et bien sûr chantent leur voyage, leurs peines, mais aussi l’ivresse et les femmes. On chante par exemple Le Forban ou Les Calfats.
Tous ces chants de marins ne survivent guère au XXème siècle et à la disparition de la marine à voile. Nous n’en conservons aujourd’hui qu’une poignée. Sont encore en usage quelques chants dans les long-courriers jusque dans les années 1920, sur les voiliers de pêche jusque dans les années 30. Les derniers à abandonner les chants sont les « terre-neuvas », peu après la seconde guerre mondiale. Aujourd’hui c’est par la camaraderie et l’amitié, la volonté de faire perdurer un patrimoine ou tout simplement par amour du chant de marins, que ce répertoire reste vivant. Alors haut les chœurs et chantons !